Radis & Co (53) : un GAEC en polyculture-élevage qui expérimente la solidarité depuis plus de 10 ans
- Marion & Micka

- 9 mai 2021
- 37 min de lecture
INTRODUCTION
Suivant notre volonté de nous inspirer de fermes collectives existantes, nous sommes allés à la rencontre du GAEC Radis&Co en Mayenne. Ce GAEC en polyculture-élevage existe depuis maintenant plus de 10 ans et a beaucoup à nous partager, tant sur son histoire et son fonctionnement que sur les stratégies économiques, juridiques, organisationnelles et surtout humaines expérimentées.
Nous vous proposons alors un dossier articulé en trois parties.
La première pose les bases historiques ainsi que la vision et les objectifs du projet Radis&Co. On y comprend comment face à des enjeux fonciers et économiques, ce projet a évolué d’une recherche collective d’autonomie à la création d’une ferme diversifiée. Bien qu’ancré dans une réalité économique tangible, le collectif a toujours cherché à répondre à ses objectifs premiers que sont le soin de la terre et le soin des hommes.
La seconde partie décrit le fonctionnement de la ferme ainsi que la gouvernance du projet. C’est dans cette partie que nous analysons les stratégies foncière, juridique, économique et organisationnelle employées par le collectif. C’est bien la solidarité et la mutualisation des ressources qui ont guidé ce collectif. Un équilibre semble avoir également été trouvé entre gestion collective et gestion individuelle en prenant notamment le parti d’avoir un responsable spécialisé par atelier lorsque certaines tâches telles que la comptabilité ou l'administratif sont partagées au sein du collectif. Puis, alors que chaque associé se voit donné des objectifs de vente annuel d’environ 35 000 euros, il existe une véritable solidarité économique entre les différents ateliers pour permettre à chacun de gagner un salaire équivalent. Le choix du GAEC a également facilité la mutualisation des ressources tout en présentant des avantages fiscaux et comptables non négligeables.
Pour finir, la troisième partie conclut le dossier en mettant en lumière différents freins et leviers d’action associés au collectif. C’est dans cette partie qu’est discuté l’enjeu humain auquel est confronté tout collectif. Nous y comprenons mieux en quoi cet enjeu est si important et comment le collectif Radis&Co a su y faire face au cours de ces dix ans d’expérience. La connaissance de soi et des autres ainsi qu’une communication dite non violente leur ont notamment été indispensables pour dépasser les tensions interpersonnelles et les états d’âmes fluctuants. On comprend également que le bien être individuel ainsi qu’une prise de recul des uns et des autres face aux réactions du quotidien sont des facteurs de pérennité du collectif.
Bonne lecture !
PARTIE I : NAISSANCE D’UN COLLECTIF AGRICOLE : DE LA RECHERCHE D’AUTONOMIE A LA CREATION D’UNE FERME DIVERSIFIÉE
1.1. Histoire d’un collectif “Radi(s)-caux”
Nous sommes en Mayenne et des jeunes s’interrogent sur leur avenir et sur la société au fil de rencontres, de discussions et d’actions de sensibilisation ou de désobéissance civile (semaine de l’environnement, marche pour la décroissance, faucheurs d’OGM, anti-pubs, etc). De ces implications et utopies échangées, Robert Jan publie une annonce au CIVAM et à la Confédération Paysanne pour proposer une réunion autour de nouvelles manières de vivre et de travailler ensemble.
C’est ainsi qu’une dynamique collective prend racine en 2008 : de ce premier temps d’échange, une douzaine de jeunes décident de se réunir régulièrement sous le nom de “Collectif Agriculturel de la Mayenne” dans l’optique de co-construire un lieu de vie collectif le plus autonome possible. Cette réflexion collective conduit certains d’entre eux à s’intéresser tout particulièrement à l’autonomie alimentaire et aux activités agricoles du projet. Robert Jan et Marc, qui se connaissaient déjà depuis le lycée, font alors plus ample connaissance avec d’autres copains, dont Steeve et Gwendal. De réunions en réunions, ces derniers s’aperçoivent que la recherche d’autonomie ne peut s’avérer effective sans l’accès à du foncier agricole surtout quand la surface envisagée est de 40 ha. Le foncier agricole n’étant alors accessible qu’à des porteurs de projet agricoles professionnels, ils décident alors de se former pour obtenir la capacité agricole (BPREA) tout en travaillant à un modèle de ferme collective économiquement viable. Cette évolution dans la réflexion collective d’un projet de lieu de vie autonome à une installation agricole aidée concentre les intérêts et envies de chacun pour qu’en septembre 2009, s'essouffle le “Collectif Agriculturel de la Mayenne” et se constitue in fine le noyau dur à l’origine de Radis&Co : Robert Jan, Marc, Steeve et Gwendal, tous alors rejoint par Yannick que connaît déjà Robert Jan. Suivant leurs convictions écologiques et leur volonté de tendre vers l’autonomie alimentaire, ils imaginent alors un système agricole en mesure de répondre à une demande alimentaire locale mais aussi aux besoins agronomiques et écologiques de la ferme. C’est pourquoi ils conçoivent un modèle de polyculture élevage capable de produire une diversité de produits alimentaires (pain, produits laitiers, légumes) tout en prévoyant des liens fonctionnels entre les différents ateliers de production/transformation animale et de production/transformation végétale. Sur la base de cette réflexion commune et de leurs préférences personnelles, ils se forment donc à des savoir-faire paysans différents - boulangerie, maraîchage, élevage bovin et fromagerie - pour pouvoir développer des activités complémentaires et s’installer collectivement sur une ferme.
C’est, finalement, en 2010 qu’ils peuvent tous justifier de la capacité agricole et donc entamer leur démarche d’installation, démarche qui articule trois aspects que sont le financier, le foncier et le juridique. Ainsi, ils font appel à différentes institutions dans leur démarche d’installation collective.
Pour l’accès au foncier, ils font le choix de ne pas devenir propriétaire et préfèrent un portage collectif. Ils font donc appel à la foncière locale Terre de Liens pour que cette dernière devienne propriétaire de la ferme visée à Montflours. L’équipe Radis&Co espère ainsi pouvoir louer les terres agricoles ainsi que les bâti à l’association Terre de Liens.
Puis, ils ont également dû trouver différents canaux de financement pour investir dans les différents ateliers et matériels de production associés (fournil, labo de transformation laitière, serres, engins, matériel d’irrigation …). Le financement de leur appareil de production était un gage de confiance à donner à Terre de Liens pour que cette dernière accepte de financer les terres et les bâtiments agricoles. En parallèle d’effectuer les démarches pour l’installation aidée (DJA) auprès de la chambre d’agriculture et de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer), chacun de l’équipe a également démarché plusieurs banques pour obtenir cinq prêts individuels de 50 000 euros. Ils ont finalement réussi à obtenir ces prêts en échange de garanties solidaires et d’attestations de futurs potentiels consommateurs et habitants locaux. Cette démarche ne leur a pas été aisée du fait de leur modèle agricole collectif innovant et du manque de compréhension d’un tel modèle de la part des institutions bancaires. A noter également que la foncière locale n’était encore qu’à ses débuts et ne pouvait pas se permettre de prendre trop de risques quant à leurs investissements.
Ces démarches foncières et financières ont été réalisées en même temps que la démarche juridique. Suivant les conseils de Terre de Liens ainsi que de l’Afoc 53 (association de formation et d'accompagnement à la gestion de projets agricoles), ils choisissent le statut juridique du GAEC pour formaliser leur collectif. Chacun des membres de l’équipe Radis&Co devient alors associé et co-gérant du GAEC Radis&Co à la condition d’apporter 5000 euros de trésorerie dans le capital social. La plupart des associés ont alors utilisé une partie de leur DJA pour réaliser cet apport au capital collectif.
En résumé, le projet Radis&Co a émergé de plus de deux ans de réflexion collective durant lesquels ont été pris en compte les conseils d’acteurs extérieurs tels que Terres de Liens et l’Afoc 53. La volonté initiale de créer un lieu de vie collectif et autonome a ainsi évolué pour faire face à des enjeux fonciers et économiques. C’est pourquoi le projet s’est recentré sur un noyau dur de cinq associés qui ont in fine décidé de créer en 2010 un GAEC et de développer une ferme de polyculture-élevage économiquement viable. Marc, Robert Jan, Steeve, Yannick et Gwendal se sont ainsi associés pour s’installer sur des activités distinctes que sont l’élevage, la fromagerie, la boulangerie et le maraîchage. Un tel projet agricole collectif a d’ailleurs trouvé ses fondements sur la base d’une vision et d’objectifs communs.
1.2. Racines du collectif : vision et objectifs du projet
Comme évoqué précédemment, le projet Radis & Co s’est construit autour d’une vision commune. En bref, celle-ci s’articule autour des éléments suivants :
Sortir de l’individualisme de notre société en apprenant à être solidaire et à faire ensemble pour se rassembler autour de valeurs communes ;
Montrer qu’un autre modèle agricole est possible ;
Créer un projet transmissible en sortant du capitalisme et de la propriété privé ;
Produire pour être auto-suffisant et pour rendre accessible une alimentation diversifiée de qualité, respectueuse de l’environnement et des hommes ;
Créer un projet agricole pluri-activités fondé sur une cohérence agronomique et une synergie entre les activités ;
Se donner l’opportunité d’accueillir dignement (stagiaires, wwoofeurs, étudiants…) et de transmettre des savoir-faire paysans ;
Prendre soin de chaque personne du collectif en favorisant le bien être au travail (rythme, pénibilité, charge mentale...) ;
Pour mettre en œuvre cette vision, le collectif s’est fixé des objectifs économiques, sociaux et environnementaux tangibles et nécessaires à la pérennité du projet.
Objectifs économiques
Comme tout projet, Radis&Co vise la pérennité économique. Pour ce faire, chacun des ateliers doit tendre vers l’autonomie économique c’est-à-dire que doit être visé un chiffre d'affaires de 35 000 / 40 000 euros par an et par associé. Suivant un principe de solidarité économique entre les activités, ils ont cependant donné le temps à chaque atelier pour atteindre l’équilibre économique. Par exemple, comme l’activité de boulangerie fut rentable après trois ans de fonctionnement lorsqu’il en a fallu cinq ans pour l’activité d’élevage, il a été possible de compenser ces deux activités pour atteindre l’équilibre économique à l’échelle du GAEC.
Puis, le collectif a également souhaité que leurs produits puissent être accessibles au plus grand nombre. C’est pourquoi les prix appliqués à leur production sont dans la fourchette moyenne/basse pour des produits en AB.
Objectifs sociaux
Chacune des personnes du projet doit se sentir bien, cela passe par une communication ouverte et non violente, une bienveillance et une écoute de l’autre.
Chaque associé est responsable de toutes décisions prises au sein du GAEC. Le choix de Radis&Co est de laisser une liberté aux responsables de chaque atelier dans l’organisation, le choix du matériel, les améliorations notamment en termes d’ergonomie et pénibilité du travail ainsi que les besoins en main d'œuvre (usage du salariat si besoin). Cela permet à tous d’avoir une autonomie à l’échelle de l’atelier tout en étant collectivement solidaire lors de doutes et des décisions prises à l’échelle du collectif.
Les règles, répartition des tâches, fonctionnement du collectif valables à un moment T ne sont pas fixées et peuvent changer de configuration à tout moment si une/des personnes en ressentent le besoin. Cela apporte une grande flexibilité dans l’organisation et permet à chacun.e de se sentir libre de façonner le collectif ensemble selon les envies de tou.te.s.
L’accueil de personnes et la transmission du savoir est un objectif porté par l’ensemble des associés. Depuis le début du GAEC, celui-ci a intégré le réseau REPAS, et l’accueil de personnes par exemple. Que ce soit des étudiant.e.s, des personnes en parcours d’installations agricoles ou encore des personnes souhaitant expérimenter le travail collectif. L’accueil réservé aux personnes venant est fait de manière que tous se sentent à l’aise dans le collectif. Les personnes venant ne sont pas vues comme de la main d'œuvre mais bien comme des apprenants venus pour apprendre. Chaque associ.é.e a à cœur de transmettre ses savoirs.
Le GAEC étant locataire de ses terres et des bâtis. Les associé.e.s savent pertinemment que la ferme ne leur appartient pas, ils mettent tout en œuvre pour que la ferme et les activités qu’ils ont développées puissent être transmissibles facilement si un / des associés quittent le GAEC. Pour y parvenir, l’organisation et l’ergonomie de chaque poste est organisée pour être le plus simple et pratique possible avec notamment la réalisation d’outils de production sur mesure adaptés à la configuration des ateliers.
Objectifs environnementaux
Chacun des ateliers doit être le plus respectueux de l’environnement possible, cela se décline dans des approvisionnements les plus locaux possibles, des circuits de distribution ultra-courts (dans un rayon de 20 km), une recherche perpétuelle de réduction des fluxs d'énergies (eau/ électricité/ carburant), une circularité et des synergies maximales entre les activités. De nombreuses prairies permanentes et une gestion de l’élevage de vaches en pâturage dynamique rotatif permettent de favoriser une plus grande séquestration du carbone atmosphérique.
Les “déchets” d’une activité doivent être valorisés par le biais d’une autre activité. Par exemple, l’atelier de production de porcs charcutiers n’aurait sans doute pas vu le jour si l’atelier de fromagerie et l’atelier de meunerie ne produisaient pas de sous-produits qui sont respectivement le petit-lait et l’enveloppement des grains.
De nombreuses zones sont également laissées à l’état naturel et non utilisées pour le plaisir de la biodiversité, des yeux et des balades.
Finalement, Radis&Co est fondé sur la base d’un engagement idéologique et politique commun, celui d’expérimenter un nouveau modèle agricole qui prenne soin de l’homme et de l’environnement tout en étant économiquement viable.
La dimension collective d’un tel projet émerge également de motivations communes. Tout d’abord, elle résulte d’une volonté partagée de faire ensemble et de sortir de l’individualisme de notre société. Puis, elle permet d’avoir une cohérence agronomique à l’échelle de la ferme en facilitant la diversification des activités de production. La complémentarité entre production animale et production végétale rend possible d’à la fois créer des flux fonctionnels entre les activités et de faire des rotations entre des prairies et des planches maraîchères. De plus, être en collectif permet d’améliorer les conditions de travail de chacun, notamment grâce au système d’astreintes. Pour finir, il a été souligné le fait que le collectif était une véritable richesse d’un point de vue humain, et ce tant pour le soutien moral et la solidarité que pour la connaissance de soi suivant la perspective que “l’autre n’est que le miroir de soi-même”.
1.3. Perspectives pour le monde agricole de demain : partages d’un collectif militant
L’équipe Radis&Co n’imagine pas une agriculture de demain mais des agricultures de demain. Elles seront différentes mais complémentaires.
Cependant, il est remarqué que les candidats souhaitant s’impliquer au sein d’un projet agricole manquent alors que dans moins de 6 ans la moitié des agriculteurs d’aujourd’hui partiront à la retraite. Pour assurer une résilience alimentaire de notre territoire aux échelles nationale et locale, il semble donc primordial de briser les barrières à l’installation en facilitant l’accès au foncier. Il semble en effet important de favoriser le développement en nombre des fermes à taille humaine plutôt que l'agrandissement des fermes existantes. L’agrandissement répond à des objectifs de productivité plutôt que de diversification alors qu’il nous faut urgemment prendre soin de nos paysages et de nos sols. Puis, comme le remarque Estelle, il serait intéressant de sécuriser et de démocratiser le statut des paysans par le développement du salariat. Cela serait une alternative à la bien connue spirale de l’endettement qui freinent nombre de porteurs de projet. Les métiers de l’agriculture doivent, selon elle, également évoluer pour faciliter le bien-être au travail, notamment par le développement de la recherche sur les outils, l’ergonomie et le confort au travail
Marc ajoute à cette vision qu’on ne peut pas généraliser une forme d’agriculture. Selon lui, il n’existe ni de modèles parfaits ni de techniques parfaites et il y aura toujours des axes de progrès possibles. Ce qui est valable chez l’un ne le sera pas chez un autre. Il insiste sur le fait que chaque projet doit donc être adapté à son contexte social et environnemental. Puis, chaque projet agricole correspond à une expérience humaine. Dès lors, l’agriculture est, d’après lui, accessible à tous et non pas réservée à des fils et filles de paysans. La condition pour créer un projet viable réside seulement dans le fait de le dimensionner à ses envies et à ses valeurs.
En résumé, pour l’équipe Radis&Co, il semble important de favoriser la pluralité des fermes sur les territoires. Ces dernières doivent pouvoir coexister et dialoguer entre elles suivant des objectifs communs; ceux de nourrir les hommes et de prendre soin de notre terre. Il insiste également sur le fait que les agriculteurs de demain doivent chercher à se relocaliser dans leur territoire en privilégiant le circuit court et en rétablissant du lien entre consommateurs et producteurs. Puis, ces agricultures devront s'intégrer dans leur territoire et en prendre soin. N'oublions pas que dans le mot “paysan”, on y retrouve le mot “pays” comme dans le mot “paysage”. Le paysan façonne, entretient et s’occupe des paysages et donc de son pays ou territoire. Il nous est donc à tous possible de devenir paysan et de nous emparer de cette mission qu’est de prendre soin de notre terre, de nos paysages et de nos territoires et de ses habitants.
PARTIE II : FERMOSCOPIE : UNE FERME DIVERSIFIÉE, RÉSILIENTE ET SOLIDAIRE
2.1. Description paysagère de la ferme : un environnement préservé
Radis&Co se situe au cœur du département de la Mayenne dans la commune de Montflours non loin du centre bourg.
Tout comme le long de la Mayenne, la ferme est constituée d’un paysage riche en sous-bois, haies et d’arbres en tout genre. La diversité floristique et faunistique témoigne de la richesse de ce milieu et de son intérêt écosystémique.
Les contours Ouest et Nord de la ferme sont délimités par La Mayenne (rivière), tandis que le ruisseau d’Ouvrain traverse le domaine.
Le vallonnement des lieux est également bien marqué puisque sur les 40Ha seulement 18Ha sont cultivables. Autrement dit, la moitié de la SAU de la ferme est plutôt propice à la conduite de l’élevage et le maintien de prairies permanentes...
Le Massif Armoricain se terminant dans cette zone géographique, le sol de la ferme témoigne de ses caractéristiques c'est-à-dire un sol principalement argilo-limoneux avec tous ces avantages et contraintes.
Le paysage est très diversifié, à l’image du collectif où les personnes et les activités sont différentes mais complémentaires.
2.2. Description fonctionnelle de la ferme : un système de polyculture-élevage dit circulaire
La ferme, dont certains bâtis datent du XIXème siècle, était auparavant occupée par un couple de paysans installé en vaches laitières, et ce suivant un système agricole dit conventionnel. Depuis 2011, le corps de ferme existant a été rénové et modulé en fonction des besoins du collectif. De nouveaux bâtiments, usages et ateliers ont vu le jour avec l’évolution du GAEC.
Aujourd’hui, la ferme comporte quatre activités (polycultures / élevage de vaches, transformation laitière, meunerie-boulangerie, maraîchage) avec pour ambition la recherche d’une autonomie alimentaire, la réduction au minimum des intrants, la complémentarité des activités et la cohérence agronomique.
L’atelier d’élevage comprend un cheptel de vaches “pie noir” qui est une race bretonne mixte, c’est à dire reconnue pour la qualité de son lait et la qualité de sa viande. C’est une vache de petite taille et qui a du caractère. Peu productrice en lait mais de grande qualité nutritionnelle et fromageable, elle est également rustique et se comporte bien durant le vêlage. Le troupeau du GAEC comporte une quarantaine d’animaux dont douze vaches en constante production laitière en bi-traite journalière. Les veaux sont quant à eux vendus pour la viande. Certains seront élevés durant 3 à 4 ans pour les valoriser en viande de bœuf.
Dans une logique d’autonomie alimentaire, le troupeau est conduit en système de pâturage rotatif dynamique. Cela consiste à faire pâturer les animaux le plus longtemps possible dans les prairies tout en les faisant fréquemment changer de parcelles pour faciliter la repousse de l’herbe. Dans ce système de gestion, la répartition du parcellaire et le pâturage sont les clés de voûte de la bonne conduite du troupeau. Ces aspects sont techniques et demandent une connaissance fine des caractéristiques agro-pédologiques de chacune des parcelles et du comportement de celles-ci en fonction des conditions météorologiques passées, présentes, futures. En effet, le principe de ce système est d’utiliser au mieux les capacités fourragères des parcelles afin que les apports nutritifs des prairies soient optimums pour les vaches. Pour cela, les vaches restent maximum 3 jours d'affilée sur une même parcelle, elles n’y retourneront pas avant une vingtaine de jours pour que la repousse de la prairie soit optimum lors de leur nouvelle arrivée sur la parcelle. Les prairies restent en place 4 à 5 ans et sont pré-ensemencées avec un mélange de végétaux adaptés (graminées, légumineuses…) en fonction des besoins finaux, ici le bien être de l’animal et une bonne qualité du lait pour les transformations laitières.
La quasi-totalité du lait est transformé à la fromagerie de la ferme, quelques litres de lait cru sont vendus en direct à des clients.
La fromagerie et l’atelier de vache laitière sont interdépendants dans le système de fonctionnement de la ferme, l’un et l’autre sont en totale synergie.
Steeve, le fromager du collectif transforme le lait en tommes et en une grande diversité de produit: fromages à tartiner, crème fraîche, faisselles, fromages blancs battus et yaourts. Chaque semaine est rythmée par le processus de toutes ces transformations, soit environ 700 litres. Le petit lait, un sous-produit issu de la transformation laitière, est quant à lui valorisé pour engraisser les cochons tout comme le son de blé de la meunerie. C’est ainsi qu’une douzaine de cochons sont élevés puis vendus pour leur viande chaque année comme sources de diversification économique et de cohérence agronomique.
L’atelier paysan-boulanger-meunier est tenu par Estelle, dernière intégrée en tant qu’associée du collectif pour remplacer Yannick. Elle est soutenue par 2 salariés, un le lundi et l’autre le mardi.
Le suivi des cultures de blé et du sarrasin pour les besoins annuels de l’atelier est assuré par plusieurs associé.e.s. Le collectif est d’ailleurs en recherche de terres supplémentaires pour assurer une pérennité et une sécurité sur son auto-approvisionnement en céréales compte tenu des enjeux climatiques toujours plus capricieux sur la pluviométrie.
Le bâtiment faisant office de hangar à grains, de meunerie et de fournil est aussi attenant à un préau permettant de fendre du bois en petites bûches. Ce bois considéré comme sous-produit des scierie en est directement récupéré pour alimenter le four à pain du type gueulard.
Trois éléments font le charme de cet atelier.
Le trieur à grain, permettant d’éliminer les impuretés du blé et du sarrazin.
Le moulin à grain, afin de transformer le grain en farine et ainsi obtenir un des ingrédients de base du pain.
Le four à gueulard : parmi les différents types de fours à pains existant, celui-ci est un four avec une gueule en fonte crachant du feu sur les parois internes du four tel un dragon. Ce même four est dominé par une poutre donnant toute sa force et son charme à la pièce.
Ici, le pain est fait à partir de levain et de farine semi-complète.Les recettes se déclinent en pain nature, pain aux noix, pain raisin-noisette, pains aux graines de courges ou encore pain tournesol-lin.
Quant à la farine de sarrasin, celle-ci est sublimée en galettes distribuées en AMAP tout comme le pain.
Le four à gueulard est ravivé 4 fois par semaine pour assurer les tournées de pain, cela représente environ 220kg de pain et 350 galettes par semaine.
L’atelier de maraîchage diversifié est l’activité la plus chronophage de la ferme. Il est tenu par deux des cinq associés du collectif. Robert Jan présent dès la création du projet et de cet atelier et Clément qui fut salarié quelques années puis depuis deux ans associé du GAEC et co-responsable de l’atelier de maraîchage. Ils sont aidés d’un salarié à temps plein et de l’aide ponctuelle de stagiaires.
Le maraîchage se déploie sur 2,5Ha dont 2000m2 sous serres pour satisfaire les besoins des 180 paniers hebdomadaires distribués en 3 AMAP distinctes. La rotation des cultures de pleins champs est réalisée en blocs comprenant une période de 4 ans de prairie sur chaque bloc. Les cultures sont menées de façon mécanisée à l’aide d’outils du travail du sol réalisés en collaboration avec l’Atelier Paysan.
Sous serre, des tests de densification et d’optimisation de l’espace sont menés (haricot/mâche, tomate/betterave, navet/oignons blancs..)
Une serre à semis de 150m2 permet de réaliser tous les plants nécessaires à l’activité à partir de semences, excepté pour les plants de poireaux achetés à l’extérieur.
Dans la cour principale, le bâtiment commun est en cours de finition après de grands travaux de rénovation. Celui-ci se compose d’une immense salle servant de cuisine, salle à manger mais aussi de salle de réunion. Une autre pièce fait office de bureau commun alors que l’étage est réservé à l’accueil des stagiaires, compagnons, visiteurs, amis (composée d’une salle de bain, de toilette et de couchages).
Les activités décrites démontrent la cohérence agronomique entre chacun des ateliers ainsi que leur complémentarité. On comprend ici l’importance des flux agronomiques dans la résilience du système mis en place. Autour de ces activités, il a été également mis en place une organisation collective qui favorise la gestion commune et partagée du GAEC dans son ensemble.
2.3. Description organisationnelle de la ferme : mutualiser pour gérer collectivement un commun
2.3.1. Gestion foncière : le choix d’être locataire auprès de Terre de Liens
Le collectif n’a jamais souhaité être propriétaire de leur outil de travail. Plusieurs motivations les poussaient à être locataire des terres et du bâti.
Tout d’abord, ils se sont installés jeunes (entre 25 et 35 ans) et aucun n’avait de ressources économiques de côté pour investir à ce moment-là. Ils se sont alors tournés vers Terre de Liens pour permettre un portage financier collectif du foncier c'est-à-dire du bâti et des terres. Ce portage collectif leur a permis de réduire leur endettement et les risques financiers individuels. L’endettement sur la ferme a donc été limité à hauteur de ce qu’il fallait investir dans l’appareil de production (serres, matériel de maraîchage, laboratoire de transformation laitière etc.). Notons que les rénovations sur le bâti sont également financées par Terre de Liens à la condition de justifier de l’importance de ce besoin pour le fonctionnement du projet.
Puis, selon eux, être propriétaire induit de contribuer à la spéculation du foncier agricole. Les associ.é.e.s estiment au contraire que la terre est un droit commun et que celle-ci doit pouvoir rester accessible pour tous. En louant les biens, le collectif s’assure que le foncier agricole reste accessible à de futurs porteurs de projets. Cette prise de position est contraire à la majorité des cas de transmission où les fermes familiales sont considérées comme des capitaux dont la vente contribue aux retraites des paysans.
Finalement, le choix de faire appel à Terres de Liens pour l’accès au foncier a été fait pour deux motivations principales que sont de limiter l’endettement et d’incarner une idéologie anti-capitaliste en répondant à l’enjeu de la transmission des fermes.
2.3.2. Gestion juridique : le GAEC, un pas de plus vers la mutualisation économique
Suivant les conseils de l’AFOC et de Terres de Liens, l’équipe Radis&Co a choisi d'institutionnaliser son projet collectif sous la forme d’un GAEC. En effet, comme nous le partage en particulier Robert Jan, le GAEC présente différents avantages économiques, comptables et fiscaux par rapport à d’autres structures juridiques (EI, SAS, SCOP …).
Tout d’abord, ce statut juridique est de fait agricole et permet donc une reconnaissance juridique de la capacité agricole de chacun des associés, alors considérés légalement comme co-gérants de l’exploitation agricole. Dès lors, à l’inverse d’une SCOP, chacun peut bénéficier de la DJA et du régime de cotisations sociales de la MSA, ce qui est avantageux économiquement parlant pour chacun des associés (aides financières à l’installation avec la DJA ; charges sociales réduites avec la MSA).
Puis, un GAEC présente des avantages fiscaux non négligeables puisqu’il souscrit au régime fiscal micro-bénéfice agricole (dit micro-BA) et non au régime forfait ou réel. Ce régime fiscal prévoit une imposition sur seulement 13% du chiffre d'affaires annuel réalisé quelque soit les investissements et charges appliqués. Ainsi, à l’inverse d’un régime forfait qui favorise la course à l’investissement pour diminuer le revenu annuel imposable, le micro-BA considère plus simplement que 87% du chiffre d'affaires de l’exploitation relève de charges ou d’investissements. Ce régime fiscal simplifié permet donc de faciliter le suivi comptable de l’exploitation.
Le statut de GAEC permet également de faire bénéficier des avantages du micro-BA à des ateliers dont le chiffre d’affaires serait individuellement trop élevé c’est-à-dire supérieur à la condition légale associée de 83 000 euros/an par entreprise. La limite légale appliquée au GAEC est, en effet, proportionnel au nombre d’associés : ici, ils ne doivent pas collectivement générer plus de 5*83 000 euros de ventes par an. Les objectifs économiques donnés à chacun des ateliers sont donc dimensionnés à hauteur de cette limite légale et du potentiel de chiffre d’affaires des uns et des autres. Ainsi, il existe une véritable complémentarité économique entre les différents ateliers de Radis&Co où le maraîchage réalise environ 100 000 euros de vente par an. Cette mutualisation économique est gagnant-gagnant pour chaque associé - soit, il permet aux activités les plus rentables de pouvoir bénéficier des avantages fiscaux et comptables du micro-BA ; soit il permet aux responsables des activités les moins rentables de gagner un revenu plus élevé suivant le principe de solidarité économique appliquée au sein de l’équipe Radis&Co. Notons également que le GAEC permet de réduire les risques individuels auprès de la banque : si l’entreprise fait faillite, les associés ne devront rembourser uniquement que le double de l’apport initial apporté au capital social (2*5000 = 10 000) et non pas la totalité de la dette contractée auprès de la banque. Cela est possible car les dettes ont été contractées au nom du GAEC et ne sont pas des dettes individuelles.
En plus de ces avantages économiques, fiscaux et comptables, un des derniers arguments en faveur du statut du GAEC relève de l’institutionnalisation de l’engagement de chacun des associés dans le collectif. Le fait que les entrées et sorties des associés ne peuvent se faire sans passer devant des commissions d'agrément institutionnalisées encourage à aller au devant des problématiques humaines interpersonnelles et favorise l’envie de collectivement résoudre les conflits en interne plutôt que de quitter ou d’abandonner le projet lors de difficultés.
Ces différents éléments ont ainsi conduit l’équipe Radis&Co à formaliser leur projet collectif sous la forme d’un GAEC. Cela leur a été possible dans la mesure où ils respectaient les différentes conditions légales de mise en place d’une telle structure c’est-à-dire :
toutes les activités du projet sont de nature agricole ; et non pas culturelles ou artisanales … ;
chaque associé reçoit un SMIC en rémunération comptable* et est à 100% ETP ;
aucun achat-revente n’est possible ;
Pour entrer dans le GAEC, chaque associé doit contribuer au capital social de l’entreprise - ici, chaque associé a dû faire un apport initial de 5000 euros; le montant de l’apport initial étant écrit dans les textes de constitution du GAEC. Notons que l’apport initial peut évoluer avec le temps puisque l’entreprise prend de la valeur au fil des ans. Ainsi, Estelle et Clément ont dû faire un apport initial de 25 000 euros lors de leur entrée dans le GAEC.
Ce dernier point ici évoqué lors de notre entrevue avec Estelle illustre le fait que les entrées et sorties ne sont pas aisées. Elles font l’objet d’un véritable processus d’intégration juridique et économique, ce qui constitue un enjeu à prendre en considération lors du choix de ce statut. C’est pourquoi nos interlocuteurs de Radis&Co ont souvent parlé du GAEC comme d’un mariage qui engage fortement chacun des associés.
Un autre enjeu mis en exergue par Estelle et Robert Jan est celui du statut de co-gérant de chacun des associés. En effet, bien que chacun paye moins de cotisations sociales, ils n’ont également pas accès aux droits sociaux tels que le chômage ou les arrêts maladies.
Le choix du statut juridique est décisif dans la dynamique que l’on souhaite mettre en place au sein du collectif. Il apparaît essentiel de prendre le temps d’envisager les différents statuts pour partir sur de bonnes bases. Ici, on se rend compte que le choix du GAEC a été fait pour impliquer davantage chacun des associés et créer une solidarité humaine. Ce choix est également un facteur influent sur la gestion économique du collectif et de la gouvernance.
* Cela signifie que chaque associé reçoit sur son compte associé l’équivalent d’un SMIC sans avoir l’obligation d’en retirer la totalité chaque mois, ce qui est tout le temps le cas.
2.3.3. Gestion économique : la solidarité économique pour un partage plus équitable des ressources et de la richesse générée
Comme évoqué précédemment, le collectif a fait le choix d’une solidarité économique entre les différents ateliers pour pouvoir développer un projet collectif diversifié qui soit économiquement viable.
Tout d’abord, ils ont partagé les charges à l'investissement dans l’appareil de production de la ferme en réalisant des prêts bancaires au nom du GAEC. C’est en mutualisant l’endettement et les aides européennes à l’installation (DJA) que 300 000 euros ont pu être investis sans trop risquer chacun des associés. Pour rappel, ceci a été possible notamment grâce au statut de GAEC.
Puis, les objectifs de vente ont collectivement été choisis pour dimensionner chacun des ateliers à hauteur de ce que le GAEC devait collectivement générer pour être à l’équilibre économique et de ce que chaque activité pouvait raisonnablement générer. C’est ainsi qu’il a été décidé que la boulangerie devrait vendre pour 45 000 euros par an soit environ 220 kg de pain par semaine (4 tournées); le maraîchage pour 100 000 soit 180 paniers AMAP semaine ; l’élevage et la fromagerie pour 70 000 soit 700 L de lait transformé par an.
Les revenus ainsi générés par chacun des ateliers sont mutualisés puis répartis pour payer un salaire équivalent et fixe à chacun des associés. Ils se sont d’ailleurs mis d’accord pour se dire qu’un temps plein correspondait à environ 45h par semaine par associé.
Comme nous le souligne Marc, le principe de solidarité économique présente différents avantages. D’une part, il a rendu possible la diversification de la ferme en permettant à chaque atelier d’être rentable à son rythme. Il a fallu cinq ans pour l'élevage quand il en a suffit de trois pour la boulangerie. D’autre part, ils ont chacun gagné du temps de travail en mutualisant la gestion comptable ainsi que les débouchés économiques ou canaux de vente au sein du collectif. Puis, en proposant un panier diversifié (légumes, pain, fromage), il leur est plus facile de trouver des débouchés économiques, les consommateurs privilégiant les lieux de vente où ils peuvent acheter plusieurs produits. Pour finir, la mutualisation des charges et des revenus a permis de garantir des salaires mensuels équivalents et de bonnes conditions de travail, similaires à un salarié avec des week-ends et des congés payés.
2.4. Description du fonctionnement collectif, de la philosophie de vie et de travail associée
2.4.1. Le travail au service de l’humain, des choix pour alléger les contraintes de chacun
Le collectif Radis & Co a fait le choix d’avoir un responsable par atelier plutôt que d’être chacun polyvalent sur tous les ateliers et de partager la responsabilité de tous les ateliers entre tous. Comme le souligne Marc, ce choix a été fait pour faciliter le fonctionnement et la gestion de la ferme collective. En effet, il est, selon lui, plus ergonomique et plus efficace d’avoir un responsable par atelier alors chargé de gérer son atelier à sa manière tant sur des aspects organisationnels qu’humains, techniques et économiques. Ainsi, chaque associé a développé des compétences spécifiques (élevage, fromagerie, boulangerie ou maraîchage) pour pouvoir assurer au mieux le bon fonctionnement de son atelier. Il gère ainsi à sa manière son emploi du temps, ses ressources humaines et matérielles ainsi que ses itinéraires techniques. Remarquons ici que cette gestion individuelle des ateliers se fait selon des objectifs économiques définis collectivement. En d’autres mots, chaque associé gère son atelier tel qu’il le souhaite à la condition de réaliser le chiffre d'affaires convenu collectivement - c’est-à-dire un objectif de vente de 35 000 et 40 000 euros par an par associé. Cet objectif du bien être au travail est également un objectif fixé par le collectif. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à investir dans le matériel et dans le salariat pour faciliter le travail de chacun. Les investissements font d’ailleurs l’objet de consensus parmi le collectif sauf pour tout investissement inférieur à 1000 euros. Chacun peut en effet acheter du matériel pour moins de 1000 euros de manière autonome sans demander l’accord du collectif.
Dès lors, c’est bien un principe de confiance mutuelle qui régit la gestion des ateliers suivant les objectifs du collectif de bien être au travail et d’équilibre économique global. Marc ajoute aux raisons ergonomiques d’une telle répartition du travail l’avantage de permettre à chacun d’avoir un espace d’expression et de décision qui lui soit propre. Cela lui apparaît comme indispensable à la pérennité d’un projet collectif où existe le risque de noyer les individualités dans le collectif au détriment du bien être individuel. Permettre à chacun d’avoir son propre espace où il peut développer ses habitudes de travail contribue au bien-être individuel.
Il nous faut ici mettre en exergue la spécificité de l’atelier maraîchage qui est partagé entre deux associés à l’inverse des autres ateliers. Selon Robert Jan, cette gestion partagée ou co-gestion de l’atelier maraîchage est possible car il est à la fois gourmand en main d'œuvre et capable de générer au moins deux revenus. Historiquement, Robert Jan et Yannick se répartissaient cet atelier de telle manière à ce que le premier soit chargé des cultures et le second de la mise en place de l’appareil productif, en particulier des serres et de l’irrigation. Cette collaboration n’a cependant fonctionné que le temps où les deux pouvaient effectivement se répartir sur ces deux missions distinctes. Lorsque l’installation fut terminée, il leur a alors été difficile de s’organiser à deux, et ce d’autant plus car ils n’étaient pas forcément en accord sur les itinéraires techniques à mettre en œuvre. Ces désaccords ont conduit le collectif à se réorganiser pour que Yannick prenne en charge l’atelier boulangerie et que Robert Jan gère l’atelier maraîchage et s’entoure d’un saisonnier.
Depuis 2020, l’atelier maraîchage est de nouveau co-géré par deux associés que sont Robert Jan et Clément, qui a évolué du statut de salarié à celui d’associé. Bien que la co-gestion et la co-organisation ne furent pas aisées la première année, il semblerait que ces deux associés aient aujourd’hui trouvé comment se répartir au mieux les responsabilités et activités de l’atelier. Ainsi, Robert Jan est chargé des légumes de plein champ lorsque Clément est responsable de la pépinière et des légumes sous serre. Ces derniers s’accordent sur le fait que leur organisation leur convient dans la mesure où ils ont trouvé comment être complémentaires. Ils bénéficient ainsi de l’avantage d’être à deux pour “aller plus loin” dans les réflexions et prises de décision techniques tout en se répartissant à la fois la charge de travail et la charge mentale associées à l’atelier maraîchage. Clément souligne ici qu’être à deux permet de “gagner en souplesse dans le travail”, l’un pouvant facilement être remplacé par l’autre lors d’imprévus ou de temps de repos. Cela lui donne également le temps nécessaire pour s’impliquer dans le réseau CIVAM au nom du collectif radis & co. Il ajoute qu’il ne se serait a priori jamais installé seul et que c’est le fait d’être deux qui lui a donné la confiance pour passer du statut de salarié à associé.
Remarquons ici que l’ensemble du collectif est d’accord pour dire que la co-gestion n’est a priori pas adaptée à une activité d’élevage. En effet, selon eux, s’occuper d’animaux demande un suivi quotidien et une bonne connaissance de chaque animal. Cette réflexion émerge notamment de l’expérience de Steeve et Marc. Ils évoquent tous deux le fait qu’il leur a été moins efficace de se partager à deux les activités d’élevage et fromagère. La charge de travail est importante dans les deux cas et il est difficile de trouver assez de temps pour communiquer sur les missions à réaliser. Partager le soin des animaux demande en particulier de communiquer au quotidien sur l’état des bêtes. Puis, la diversité des productions fromagères produites par Steeve nécessite d’être compétent et précis en le domaine pour être efficace et répondre aux objectifs de vente. C’est pourquoi ils ont pris la décision de mettre en œuvre deux ateliers distincts que sont l’élevage et la fromagerie. Dès lors, ils ont dû s’organiser autrement pour pouvoir se dégager des temps de repos. D’une part, tous les associés sont capables de faire la traite des vaches, ce qui permet à Marc d’avoir des week end - fait rare chez les éleveurs. D’autre part, Steeve a organisé son planning de vente et de production fromagère de telle manière à ce qu’il ne lui soit pas nécessaire de produire l’ensemble de sa gamme lors de ses vacances d’été.En effet, la demande locale est faible à cette époque de l’année puisque les consommateurs sont en vacances. Durant ses vacances, seules les tommes sont produites par un salarié à la fois capable de s’occuper des bêtes et de produire ce type de fromage. En résumé, Steeve a rendu son activité saisonnière pour se dégager des vacances.
Il est important de remarquer que la partie “grandes cultures” est aujourd’hui en questionnement au sein de l’équipe Radis&Co. Depuis lors, Marc, Yannick et Robert Jan géraient collectivement cette activité puisqu’elle est plus saisonnière et nécessite peu de main d'œuvre. Depuis le départ de Yannick ainsi que de l’arrivée d’Estelle et de Clément dans le GAEC, l’équipe s’est fixée de nouveaux objectifs tels que celui d’être plus auto-suffisants en ce qui concerne la production de farine et de foins. Ils ont alors constitué un groupe de travail avec Estelle, Robert Jan et Marc pour faire évoluer la gestion des grandes cultures et améliorer la compétence collective associée. Ils sont ainsi actuellement en recherche de terres supplémentaires et bénéficient d’un accompagnement technique extérieur pour le choix des variétés et semences ainsi que l’assolement. La production “grandes cultures” est pour le collectif un enjeu proéminent face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents.
Pour conclure sur le fonctionnement collectif de la production de la ferme, il nous faut retenir qu’ils ont préféré la spécialisation à la polyvalence des associés pour des questions d’ergonomie, d’efficacité et de bien être au travail. Chacun est libre de prendre les décisions qui sont propres à son atelier à la seule condition de répondre aux objectifs de vente et de prendre soin de lui et du collectif. Ils développent donc une confiance mutuelle concernant les prises de décisions propres à leur atelier tout en bénéficiant collectivement d’une solidarité économique. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à investir collectivement dans le matériel et le salariat pour améliorer les conditions de travail de chacun. Un système d’astreinte et de remplacement efficace a également été mis en place. Notons cependant le regret de certains de ne pas pouvoir être plus polyvalent au quotidien. Comme le remarque notamment Steeve, “l’avantage du collectif c’est qu’il y a beaucoup de savoir à disposition et il serait dommage de s’en priver”. Il ouvre ici la porte pour de nouvelles pistes de réflexion en nous invitant à considérer le modèle de la SCOP Paysanne de Belêtre où les associés sont plus polyvalents.
2.4.2. La solidarité et le bien être individuel et collectif pour vivre et travailler ensemble
Le statut du GAEC précédemment expliqué induit une solidarité entre les activités et une recherche d’autonomie dans le fonctionnement / intrants de celles-ci. Mais, ici à Radis&Co cette solidarité se décline dans une grande diversité d’autres domaines.
On peut parler de la mutualisation et la répartition des tâches liées aux activités économiques tel que les circuits de commercialisation, les trajets professionnels, la gestion administrative (assurance, MSA, banque, fond européen (PAC), comptabilité, ouverture et répartition du courrier/courriel) et les tâches générées par le fonctionnement des activités (fournisseurs, entretiens et réparations du matériel, gestion des grandes cultures, échange avec les institutions, syndicat…).
Les métiers agricoles sont en lien direct avec le vivant. Cela requiert une présence souvent quotidienne, notamment en élevage. Pour que cette responsabilité ne soit portée uniquement par l’éleveur ce qui lui imposerait de travailler 7jours/7, un planning d’astreinte a été mis en place. Ainsi tou.te.s participent aux astreintes et disposent de week end libres (4 week end sur 5).
L’astreinte bénéficie à toutes les activités et demande à tous les associ.é.e.s de maîtriser des tâches de corps de métiers différents et donc une polyvalence limitée (traite des vaches et nourrir les animaux, ouverture et fermeture des serres et récoltes si besoin, préparation du levain pour la fournée du Lundi, auparavant fabrication de produits laitiers).
D’autres tâches induites par le fonctionnement en collectif tel que les courses, la préparation des repas du midi, l’entretien de la maison commune, du bassin de phytoépuration des eaux grises, la gestion des déchets, l’accueil de personnes ou encore l’organisation d'événements à la ferme sont réparties avec une gestion “tournante” de ses tâches pouvant être individuelle ou collective, journalière, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle.
Les charges sont mutualisées et prélevées sur les comptes associés, on peut citer l’autoconsommation de la production estimée à 6000 euros par an pour la cuisine du midi. Cela comprend d’autre part la prise en charge des charges liées à l’accueil de personnes (nourriture, eau, électricité…) qui sont invitées s’ils le souhaitent à participer à prix libre pour leur séjour au sein du collectif.
En décortiquant le fonctionnement et les choix de Radis&Co, nous pouvons parler d’une cohérence globale autour du travail et du vivre ensemble et l’envie d’un projet pérenne. Dans chacune des catégories précédemment évoquées on y retrouve comme axe fédérateur la solidarité.
Que se soit au niveau des ateliers qui sont complémentaires et interconnectés ou le choix d'être locataire des terres et des bâtis pour assurer une transmissibilité de la ferme en évitant la spéculation foncière. Le statut juridique, les prises de décisions, la gestion économique et la répartition des tâches permettant à chacun de s’impliquer dans la bonne santé du collectif tout en prenant soin de soi et des autres.
Nous retiendrons que pour entretenir un projet solidaire et résilient, il est primordial de prendre le temps de communiquer et de se connaître soi et de connaître les autres.
PARTIE III : FREINS ET LEVIERS D’ACTION POUR MONTER UN PROJET AGRICOLE COLLECTIF : UN RETOUR D’EXPERIENCE
3.1. L’enjeu des réunions et des décisions collectives face aux contraintes temporelles et la peur du conflit
Monter un projet agricole collectif n’est pas sans enjeux, bien au contraire. A l’image de l’adage “seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin”, il est sûr que la dimension collective d’un projet demande plus de temps. En effet, comme le souligne justement Clément, il leur est nécessaire de se dégager quelques heures tous les mercredis après-midis pour assurer la réunion hebdomadaire. Bien qu'indispensable au bon fonctionnement du collectif, la réunion hebdomadaire est une charge supplémentaire dans les emplois du temps de chacun. Puis, il a également été remarqué que, tout en étant assez chronophages, ces réunions collectives étaient pourtant trop courtes pour aborder des sujets de fonds. C’est pourquoi le collectif Radis&Co commence depuis peu à mettre en place des réunions dites “de fond” ou “thématiques” en plus des réunions du mercredi après-midi. A titre d’exemple, la gestion des grandes cultures fait l’objet de telles réunions entre les membres du collectifs concernés.
Puis, il a été remarqué l’enjeu de réussir à libérer la parole lors de réunions, fait rendu difficile à la fois par la contrainte temporelle et par les disparités entre les caractères. Les personnes sont, en effet, plus ou moins à l’aise pour exprimer leurs besoins et leurs limites dans un groupe, surtout quand les décisions font uniquement l’objet d’échanges oraux. Cet enjeu est d’autant plus important qu’il existe souvent une peur du conflit ou encore une peur de dire non. Steeve et Estelle insistent sur ce point en évoquant le fait qu’il est souvent difficile de remettre en question les propositions des uns et des autres quand la volonté commune implicite est d’être bienveillant les uns envers les autres et d’éviter le conflit. Ils mettent alors en garde contre cette peur du conflit et de dire non qui peut facilement devenir un réflexe de fonctionnement lors des prises de décision collectives. Il leur semble important de prendre plus de temps lors de décisions stratégiques pour permettre à chacun de prendre du recul pour bien identifier ses limites et besoins face aux propositions des uns et des autres. Il existe en effet toujours le danger d’oublier son individualité face au groupe et d’ainsi privilégier le oui au non face aux propositions faites.
Finalement, travailler ensemble demande plus de temps que de travailler seul. Cela nécessite de mettre en place des réunions qui soient ni trop longues ni trop courtes pour donner le temps nécessaire à la réflexion collective sans trop charger les emplois du temps personnels. Il est également admis qu’il est important d’avoir une régularité dans les réunions, sans quoi des tensions peuvent émerger plus facilement au sein du collectif. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter à faire des réunions plus thématiques quand il s’agit de sujets de fond. Puis, chacun doit apprendre à dépasser sa peur du conflit et à dire non afin de prendre collectivement des décisions qui soient les plus réfléchies possible et dans le respect des besoins et limites de chacun. Il est souvent plus facile d’abonder dans le sens des uns et des autres que d’aller à l’encontre alors qu’il est nécessaire de pouvoir discuter et critiquer les propositions émises. Cet enjeu sous-tend ainsi un autre enjeu humain important qu’est la bonne connaissance de soi et des autres pour pérenniser le vivre et faire ensemble.
3.2. Le facteur humain ou l’enjeu de la connaissance de soi et de la connaissance des autres pour favoriser le bien être individuel et le bien être collectif
Une conviction partagée par les associés de Radis & Co est que chercher à favoriser le bien être individuel est un facteur de pérennité des projets collectifs. Plusieurs associé.e.s du GAEC nous ont effectivement fait remarquer que lorsqu’une personne est dans une mauvaise passe, cela se ressent très rapidement au sein du collectif, et ce tant sur la production que dans l’ambiance générale. Marc nous partage alors : “les relations humaines sont fluctuantes dans le temps, il faut l’accepter et bien le vivre”. Chaque personne a sa propre histoire qui la conduit à avoir telle ou telle réaction dans telle ou telle situation. Pour reprendre les mots d’Estelle, “c’est aussi riche qu’intense humainement parlant”. Dès lors, il est vrai que le bien être de chacun contribue au bien être collectif et que toute tension personnelle ou interpersonnelle viendra impacter négativement le collectif. Ceci est d’autant plus vrai que “l’autre n’est que le miroir de soi-même”.
Il en convient donc que travailler collectivement nécessite une bonne connaissance des autres mais surtout une bonne connaissance de soi c’est-à-dire de ses forces et faiblesses, de ses besoins et limites. Steeve nous livre son ressenti à ce sujet. Selon lui, “travailler à plusieurs est une force extraordinaire, c’est une expérience émotionnellement riche, professionnellement diversifiée et plus que tout, elle permet de se connaître un peu plus par le regard des autres”. C’est pourquoi il conseille fortement aux porteurs de projets collectifs de prendre le temps d’apprendre à se connaître et d’être honnête avec eux-mêmes avant et pendant la création du collectif. Il lui semble donc indispensable de se poser la question suivante : “Qu’est que j’attends du collectif et qu’est-ce que je viens y chercher ?”. Ces questions aident à avancer quant à ses besoins et à ses limites dont la connaissance aidera à mieux vivre et travailler ensemble. Puis, comprendre ses propres mécanismes émotionnels permet aussi de mieux appréhender ses propres réactions face aux autres et donc aide à la gestion collective.
Steeve nous interpelle également sur l’importance de comprendre et connaître l’autre. il ne faut pas se contenter de se connaître soi-même. Il évoque à ce sujet un outil pour aider à cette connaissance interpersonnelle lors de la construction d’un collectif. Il s’agit du “récit de vie” qui consiste à raconter sa vie à l’ensemble du groupe,depuis l'enfance jusqu’à aujourd’hui en passant par les moments clés de sa propre vie, moments difficiles et joyeux inclus. Selon lui, cet outil “permet de comprendre les fonctionnements et réactions de chacun et ainsi de mieux vivre ensemble”. A ce sujet, Marc évoque également l’importance d’être patient vis-à-vis des personnes du collectif pour donner le temps à chacun d’évoluer. Cette posture est, selon lui, un facteur de pérennité du collectif en permettant à chacun de prendre du recul face aux manières d’être et de faire de chacun.
S’ensuit le fait que travailler et vivre ensemble nécessite une bonne communication entre tous. Tout d’abord, il s’agit de prendre le temps de communiquer pour pouvoir prendre des décisions collectives malgré des points de vue et caractères divergents ou encore des états d’âmes fluctuants. Vivre en collectif demande donc une flexibilité, une bienveillance et une ouverture d’esprit pour s’adapter aux comportements et réactions de chacun et adopter une communication dite non violente. Un des outils appliqués par le collectif Radis&Co à ce regard est le “tour de météo” en chaque début de réunion. C’est un temps donné à chacun pour exprimer comment il se sent et permet ainsi d’éclairer le groupe quant à la disponibilité mentale et l’état d’esprit actuel de chacun. Notons qu’il n’existe cependant pas de protocoles associés à la prise de décision collective comme il peut l’être conseillé dans certains modes de gouvernance tels que la sociocratie. C’est un parti pris du collectif Radis&Co qui préfère la fluidité dans les échanges sur la base d’une confiance et d’une bienveillance mutuelles. Il est alors remarqué que cette posture semble facilitée par le fait que le collectif s’est constitué comme un collectif de copains et non comme un collectif de compétences. La bonne qualité relationnelle et les affinités entre les personnes ont souvent aidé le collectif à aller au-delà des tensions quand elles surgissaient.
Un point de vigilance a cependant été émis à ce sujet. Comme nous le partage Marc, il est important de ne pas prendre pour soi les reproches faits dans le cadre du collectif de travail. Les relations humaines étant plus que de simples relations de travail au sein du collectif, il est, en effet, important de pouvoir bien distinguer sa personne propre de son rôle au sein du collectif de travail. Bien que non aisée à mettre en œuvre, cette distinction aide à accepter les critiques constructives concernant la gestion collective.
Puis, le collectif Radis&Co témoigne de l’importance de faire appel à un médiateur externe pour faciliter la communication dans le collectif mais également pour désamorcer les tensions avant qu’elles ne deviennent des conflits. Ils en ont déjà fait l’expérience et en concluent que cela leur a été indispensable pour aller au-delà de leur peur du conflit et de certains non-dits. Tout en encourageant l’introspection personnelle de chacun et la communication, la médiatrice en question a alors permis au collectif de dépasser certaines tensions interpersonnelles qui existaient et donc, d’aider à la pérennité du projet face à l’enjeu humain. A titre d’exemple, c’est en présence de cette médiatrice qu’il a été remarqué qu’un associé prenait a priori “trop de place” dans le collectif. Cet associé a toujours été très moteur dans le groupe : tout en étant bénéfique pour le projet, cette posture involontaire de leadership a aussi créé des inégalités et un sentiment d’illégitimité dans l’appropriation du projet et dans le partage de la responsabilité collective. La médiatrice a ici su libérer la parole de chacun face à cet enjeu tout en étant garante d’un cadre de communication bienveillante. Ce cadre a permis à l’associé en question de prendre du recul face à ces critiques qui, pourtant, faisaient écho à sa personnalité propre et son histoire personnelle. Aujourd’hui, cet associé est toujours dans le collectif et des réajustements ont été faits pour permettre à chacun de trouver sa place dans le projet. Entre autres, cet associé ne vit plus sur la ferme ce qui l’aide à mieux distinguer sa vie personnelle de sa vie professionnelle, et donc à moins s’approprier personnellement le projet tout en ne limitant pas son énergie motrice bénéfique au groupe.
Finalement, cet exemple donne à voir l’enjeu des relations de pouvoir qui existent dans tout groupe humain et auquel il faut prêter attention pour permettre à des projets collectifs d’être pérenne. En effet, il existe toujours des inégalités concernant la capacité à prendre la parole et à mener des actions. Tout l’enjeu humain du collectif réside donc dans la capacité collective à surmonter les différences de personnalité et les relations de pouvoir implicites. C’est pourquoi, il est indispensable de favoriser l’introspection personnelle, la connaissance des autres et la communication bienveillante pour faire et vivre ensemble malgré les différences. C’est également ainsi qu’il est possible de développer une solidarité humaine et une confiance mutuelle propices au bien être individuel et donc, au bien être collectif et à la pérennité du projet. Remarquons que l’équilibre humain semble avoir été favorisé à Radis&Co par le fait qu’il existait dès le départ des affinités fortes entre les personnes et par le fait que chacun avait un espace d’expression propre qu’était son activité. Ainsi, il semble efficace de plutôt se rassembler autour de valeurs humaines communes plutôt que sur des compétences complémentaires. L’enjeu technique apparaît donc moindre face à l’enjeu humain. Puis, pour eux, il leur a été nécessaire de se constituer comme un collectif de travail plutôt qu’un collectif de vie pour aider chacun à distinguer sa vie personnelle de sa vie professionnelle.
CONCLUSION
Pour conclure, Radis&Co est une expérience collective existante qui nous apparaît comme des plus inspirantes dans le paysage agricole français. Tout d’abord, le modèle de polyculture-élevage présente une cohérence agronomique pertinente en favorisant des flux de matières entre les productions animales et végétales. Cette diversification agronomique favorise la résilience écologique du lieu, en particulier en ce qui concerne l'assolement et le soin du sol. Puis, Radis&Co s’est fondé autour d’une solidarité économique entre les différentes activités, ce qui a permis de mutualiser les canaux de financement et les canaux de commercialisation pour une efficacité économique renforcée. C’est d’ailleurs grâce à cette solidarité économique qu’il a été possible de diversifier les activités de la ferme et d’y intégrer une activité d’élevage. Le choix du GAEC a également été un levier d’action pour favoriser les mutualisations économique, foncière et matérielle tout en donnant au collectif des avantages comptables et fiscaux non négligeables. Avoir un responsable par atelier leur a également permis de gagner en efficacité dans les prises de décision collectives tout en donnant à chacun un espace d’expression propre. Pour finir, ce collectif agricole témoigne d’une expérience enrichissante pour faire face à l’enjeu humain propre à tout collectif. De cette expérience collective, il en ressort l’importance de favoriser la connaissance de soi et des autres ainsi qu’une communication dite non violente. C’est bien la connaissance des forces et faiblesses, des besoins et limites de chacun qui permet de prendre du recul face aux réactions et comportements du quotidien. Cette prise de recul est indispensable pour faire évoluer le collectif humain dans un sens où chacun peut trouver sa place, au-delà des relations de pouvoir implicites à tout groupe humain. L’appel à un médiateur externe apparaît d’ailleurs comme une clé de réussite pour aider à dépasser les tensions interpersonnelles pour que celles-ci ne deviennent pas des conflits insolvables. Finalement, nous comprenons de nos échanges avec les associés de Radis&Co qu’une ferme collective est avant tout une expérience humainement dense et très riche. Il semble alors important d’adopter une certaine posture où nous devons être personnellement prêt à évoluer et à faire face à nos propres blessures puisque l’autre n’est que le miroir de nous-même. Prendre soin de soi et prendre soin des autres nous apparaissent donc comme des objectifs indispensables à la pérennité de tout projet collectif.


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